CE QUE J'AIME
CE QUE J’AIME
(Philippe Muray, Les Belles
Lettres, 2003, extrait)
J’aime bien les routiers quand
ils bloquent les routes
Et font de ce pays une longue
déroute
J’aime les marins-pêcheurs quand
ils ferment les ports
Et les ambulanciers qui ne
portent plus les morts
J’aime de l’agriculteur les
barrages filtrants
Et ses hargneux blocus me
paraissent épatants
J’aime la suffisance qui se voit
comme le nez
Au milieu du visage de la
modernité
J’aime bien quand un car de
touristes se renverse
Bourré de jeunes allemands ou de
vieilles d’Anvers
J’aime le rolleriste qui s’écrase
par terre
Et le trottinetteur qui part le
cul en l’air
J’aime la pluie qui disperse les
fêtes carnivores
S’il pleuvait de la merde ce
serait mieux encore
Et tous ces vigilants des causes
assurées
Qui se campent en héros de causes
désespérées
Et j’aime l’asservi des chiottes
médiatiques
Lorsqu’il voit démentis tous ses
beaux pronostics
J’aime les sondages qui baissent
et les cotes qui tombent
Et les bonnes opinions qui si
vite retombent
Car c’est dans l’échec seul que
la liberté vit
Et toute réussite bientôt
l’anéantit