CE QUE ME DIT TON CUL
(Philippe Muray, Les Belles
Lettres, 2003, extrait)
Ton cul est au menu
De ce jour de paresse
Cent fois tu es venue
Me présenter tes fesses
J’attends ton pas rapide
En cette journée sordide
Où moi je suis avide
De tes caresses lucides
Tu sais bien comme moi
Que tout est terminé
Mais nous sommes encore là
Il faut bien s’enfiler
Rien ne reviendra plus
Les beaux jours ont passé
Rien ne remontera plus
Les temps sont pacifiés
Rien ne renaîtra plus
On n’ira pas plus oultre
L’univers est conclu
Et tu viens te faire foultre
On n’ira plus au bois
La fin a commencé
Montre-moi ton détroit
Il vaut mieux s’empaler
Rien ne s’inventera plus
Les lauriers sont coupés
Tes jarretelles sont foutues
Les lilas sont fanés
Au dimanche de la vie
Lorsque tout est fini
Tu viens entrebâiller
Ta clairière étoilée
À pas précipités
Lorsque tout se périme
Tu viens être victime
De ma lubricité
Si jeune ton cul pourtant
Est aussi très ancien
Doublement enchantant
C’est pour ça que j’y tiens
C’est qu’il rassemble en lui
Tout le passé perdu
L’Histoire révolue
C’est pour ça qu’il reluit
C’est pour ça qu’il retient
Dans son cercle charnel
L’écume universelle
Du passé diluvien
Et Caïn et Abel
Dans son trou torrentiel
Babel et Raphaël
Et tous les archipels
Le plaisir est parti
Il est tout où je suis
Lorsque tu t’étends là
Toute nue sur le sofa
Alors nous héritons
Ensemble et pour toujours
De ce monde sans pardon
Qui brillait comme le jour
De ce monde oublié
De ce monde rejeté
De ce monde sacrifié
De ce monde effacé
De ce passé maudit
Dont ils ne veulent plus
De ce vieux paradis
Qu’ils jettent aux détritus
De ces ciels calomniés
De ces heures démodées
De cette écume noire
Qui s’appelait l’Histoire
De ce monde abaissé
De ce passé blessé
De ce monde renié
De ce passé gommé
Ce passé renvoyé
Ce passé récusé
Ce passé licencié
Et sans indemnités
Nous sommes vivants encore
Car nous sommes aux abois
Tu es vivante encore
Car tu es hors-la-loi
Ton cul est au menu
De ce jour de paresse
Cent fois tu es venue
Me présenter tes fesses
J’entends ton pas rapide
En cette journée splendide
Où je suis à l’affût
De l’esprit de ton cul